Le « coup de Jarnac » : histoire du duel le plus célèbre du XVIe siècle

En français moderne, le « coup de Jarnac » désigne un coup violent, habile et porté à l’imprévu, avec une connotation péjorative de coup déloyal. En escrime, le coup de Jarnac est un coup d’épée porté à l’arrière de la cuisse ou du genou. Cette passe tire son nom d’un gentilhomme poitevin, Guy Ier Chabot, qui l’a rendu célèbre lors d’un duel judiciaire contre un autre gentilhomme, La Châtaigneraie.

Contexte du duel

Guy Ier Chabot est issu d’une des plus anciennes et prestigieuses familles du Poitou, connue depuis le début du millénaire à Vouvant. Il appartient plus exactement à l’une des nombreuses branches cadettes de la maison Chabot, celle des barons de Jarnac : son père est Charles Chabot, premier baron de Jarnac issu de cette famille. En mars 1540, Guy Chabot épouse Louise de Pisseleu, sœur d’Anne, duchesse d’Etampes et maîtresse officielle de François Ier. Or la duchesse d’Etampes est en rivalité permanente avec Diane de Poitiers, maîtresse officielle d’Henri, dauphin de France et futur Henri II. Le parti du Dauphin cherche en permanence à ridiculiser les proches de la duchesse d’Etampes, et Guy Chabot va lui en donner l’occasion.

Guy Ier Chabot, deuxième baron de Jarnac, avec au cou le collier de l’ordre de Saint-Michel

Alors qu’il se trouve à la cour, on demande à Guy Chabot d’où lui viennent ses riches vêtements. Celui-ci répond qu’il doit en grande partie à sa belle-mère, Madeleine de Puyguyon, seconde épouse de son père Charles Chabot. Pour Diane de Poitiers et le dauphin, présents ce jour-là, l’occasion est trop belle : aussitôt, le bruit commence à se répandre à la cour que le jeune Chabot de Jarnac entretient une relation bien spéciale avec sa marâtre. Son honneur de chevalier entaché, Chabot s’empresse de demander réparation au Dauphin. Néanmoins, il est absolument impensable qu’il provoquasse le Dauphin lui-même. C’est donc un proche du prince qui se propose pour combattre Chabot en duel : François de Vivonne, dit La Châtaigneraie.

Né en 1520, François de Vivonne, frère du seigneur de La Châtaigneraie, est lui aussi issu d’une grande famille de la noblesse poitevine. Son parrain est même François Ier en personne. Robuste, il est connu pour sa force physique et pour ses talents de bretteur, mais aussi pour son caractère fougueux et querelleur. François Ier disait même : « nous sommes quatre gentilshommes de Guyenne qui combattons contre tous « allants et venants » : moi, Sansac, Essé et Châtaigneraie ».

Les deux jeunes gentilshommes sont donc prêts à s’affronter pour réparer l’honneur de Guy Chabot… ou le ternir encore plus. Mais François Ier refuse de laisser faire cette « querelle de femmes jalouses » et interdit le duel. Celui-ci ne peut donc se tenir avant la mort du roi. Une fois le Dauphin monté sur le trône sous le nom de Henri II, en 1547, le duel peut avoir lieu…

Le combat

Depuis plusieurs années, Guy Chabot prenait des leçons d’escrime avec un spadassin italien, dans le but de se préparer à affronter La Châtaigneraie, dont la réputation comme bretteur et combattant surpasse celle de n’importe quel autre gentilhomme de la cour. Le neveu de François de Vivonne affirme même que ce spadassin aurait conseillé à Guy Chabot, qui avait le choix des armes pour le duel, de choisir des armes lourdes pour gêner les mouvements de son adversaire.

Le 10 juillet 1547, un champ clos de bataille est installé devant le château de Saint-Germain-en-Laye. À chaque bout du camp, une loge en bois accueille les deux combattants, armés d’une épée et d’un poignard et accompagné par deux parrains et deux écuyers. Le roi lui-même, avec la cour, prend place sur un amphithéâtre surmontant le champ. Lorsqu’il fait signe au héraut de s’avancer, celui-ci annonce : « de par le Roi, laissez aller les vaillants combattants et, sous peine de la vie qu’il soit fait aucune signe de la main, du pied, de l’œil, de la voix ou en toussant, ni autre faveur de l’un et de l’autre. » Le combat peut commencer.

La Châtaigneraie, agresseur, sort le premier de sa loge. Jarnac s’avance en face de lui. Les deux hommes marchent d’un pas assuré. Plusieurs coups sont échangés, sans qu’aucun ne touche sa cible. Mais Vivonne fait une erreur et porte sa jambe droite trop près de son adversaire. Jarnac atteint la cuisse et terrasse La Châtaigneraie. Il se tourne alors vers le roi et demande si c’est suffisant pour que son honneur soit réparé. Alors que le roi discute avec Anne de Montmorency, Grand maître de France, du choix qui s’offre à eux (laisser La Châtaigneraie vivre mais alors le parti du roi perd le duel avec honte, ou accorder à Jarnac de tuer son adversaire), François de Vivonne se relève et tente d’attaquer Jarnac. Plus rapide, celui-ci désarme son adversaire et s’apprête à la tuer, avant qu’Henri II ne jette son bâton pour faire arrêter le combat.

Jarnac portant son célèbre coup sur la cuisse de La Châtaigneraie

Conséquences

Humilié par la défaire qu’il vient de subir, La Châtaigneraie arrache les pansements qui couvrent sa cuisse et se vide de son sang ; il meurt le lendemain.

Auréolé par sa victoire (le « coup de Jarnac » ne désigne pas encore un mouvement perfide et en traître), Guy Ier Chabot vient de venger son honneur et de prendre sa revanche sur le roi et sa maîtresse. Par la suite, le deuxième baron de Jarnac est devenu l’un des principaux commandants catholique : chevalier de l’ordre de Saint-Michel, sénéchal du Périgord, guidon de la compagnie de son oncle l’Amiral Philippe Chabot de Brion, gentilhomme de la chambre du roi, capitaine de 50 hommes d’armes, gouverneur et lieutenant-général en la ville de la Rochelle et au pays d’Aunis, maire perpétuel de Bordeaux.

À l’échelle nationale, le duel Jarnc-La Châtaigneraie est lourd de conséquences. Touché par la mort de son ami, Henri II interdit purement et simplement tous les duels judiciaires : le duel de Saint-Germain-en-Laye est donc le dernier duel judiciaire officiel de l’histoire de France. Les combats entre gentilshommes ne s’arrêtent pas pour autant, soit qu’ils soient illégaux, soit qu’ils prennent place lors d’événements festifs comme les joutes. C’est d’ailleurs lors de joutes qu’Henri II lui-même perd la vie, après qu’un éclat de la lance de son ami Anne de Montmorency, contre qui il joutait, se soit fiché dans son œil…

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